La traversée prodigieuse du saint est un lieu commun du folklore et de l'hagiographie celtiques. L'analyse typologique met en évidence trois variantes de ce motif : le saint marche sur les eaux ; le saint franchit d'un bond le bras de mer ; le saint utilise un esquif précaire, voire miraculeux (l'auge de pierre des saints bretons). Nous proposons ici une analyse comparative des référents culturels et des réceptions de cet important matériau narratif. Partonopeus de Blois, Claris et Laris, le Roman de Merlin, et d'autres textes profanes contemporains de nos Vitae médiévales, fournissent, en effet, d'utiles éléments de comparaison, suggèrent des pistes de recherche et des hypothèses interprétatives. Cette étude met en évidence une grande diversité dans le traitement du motif de la traversée prodigieuse : les modèles fournis par la tradition judéo-chrétienne, et donc « universels », (la marche sur les eaux, par exemple), voisinent des lectures de la sainteté quasi épiques, et plus « indigènes » d'apparence (Le Saut de Sant Alar appelle la comparaison avec le Saut de Tristan et les Sauts de Cuchulainn) ; l'ordalie jouxte la légende de fondation ; ici ou là, des récits de traversées miraculeuses (dans des auges de pierre) qui pourraient bien justifier a posteriori des rites préchrétiens relevant du culte des pierres, côtoyent d'éventuels plagiats littéraires et de pieuses surenchères... Mettre en évidence la diversité du corpus, et éclairer ces variantes, diverses, par des hypothèses explicatives, elles aussi diverses, tel est, en somme, l'objet de cette étude.